La santé mentale a été déclarée Grande Cause Nationale 2025 par le gouvernement français. Une reconnaissance tardive mais essentielle, alors que les indicateurs demeurent alarmants : 1 297 décès liés au travail en 2024, plus de 78 millions de journées perdues et un salarié sur quatre en situation de mal-être psychologique. Comment les entreprises peuvent-elles agir concrètement ? Les réponses d’un expert du secteur.
Des chiffres qui appellent à l’action
Les dernières données du Rapport annuel 2024 de l’Assurance Maladie – Risques professionnels, publié en novembre 2025, dressent un constat préoccupant. La France a enregistré 764 décès consécutifs à des accidents du travail, un triste record qui s’ajoute aux 318 décès par accident de trajet et aux 215 décès liés à une maladie professionnelle. Au total, 1 297 personnes ont perdu la vie en raison de leur activité professionnelle.
Parallèlement, les maladies professionnelles poursuivent leur progression avec une hausse de 6,7 % par rapport à 2023. Les troubles musculosquelettiques représentent à eux seuls près de 90 % de ces pathologies reconnues. Plus inquiétant encore : les affections psychiques ont bondi de 9 %, passant de 840 cas en 2020 à 1 805 en 2024. Un doublement en quatre ans qui traduit la dégradation des conditions de travail.
La santé mentale, enjeu central de 2025
Le baromètre Santé mentale et QVCT 2025, réalisé par Ipsos pour Qualisocial auprès de 3 000 salariés français, confirme l’ampleur du phénomène. Un salarié sur quatre (25 %) se déclare en situation de santé mentale dégradée, un chiffre stable par rapport à 2024 qui témoigne d’un ancrage du mal-être dans le monde du travail.
Les femmes sont particulièrement touchées : 29 % d’entre elles déclarent souffrir de troubles psychologiques, contre 21 % des hommes. Les jeunes, les salariés à temps partiel, les aidants et les personnes en situation de handicap constituent également des populations vulnérables, souvent peu visibles dans les politiques RH.
Cette réalité, Philippe Goj l’observe depuis plusieurs années à la tête du CIAMT. Le président de ce centre de santé au travail Paris et Île-de-France, qui accompagne plus de 27 000 entreprises et 352 000 salariés, milite pour une approche globale de la prévention. Sa conviction est ferme : la santé ne se découpe pas en tranches. Protéger un salarié dans son environnement professionnel, c’est préserver sa santé générale.
L’efficacité prouvée de la prévention
Les données du baromètre Ipsos-Qualisocial apportent une bonne nouvelle : la prévention fonctionne, et ses effets sont mesurables. Les organisations disposant d’un plan de prévention complet comptent 83 % de salariés en bonne santé mentale, contre seulement 66 % dans celles qui n’ont déployé aucune action. L’écart est significatif.
Les bénéfices vont bien au-delà du bien-être personnel. Les salariés en bonne santé mentale affichent une capacité de concentration 2,4 fois supérieure et un engagement accru de 40 % par rapport à leurs collègues en difficulté. Ces indicateurs confirment ce que Philippe Goj défend depuis longtemps : investir dans la santé de ses collaborateurs constitue un avantage compétitif majeur, pas une simple contrainte réglementaire.
Pourtant, les efforts restent insuffisants. Selon l’étude, 39 % des salariés n’ont accès à aucune mesure de prévention et seulement 23 % bénéficient d’un plan complet. Un déficit qui touche particulièrement les PME et certains secteurs comme l’enseignement.
Trois leviers concrets pour agir en entreprise
Pour Philippe Goj, l’efficacité d’une politique de prévention repose sur plusieurs piliers essentiels.
Le premier concerne l’analyse des situations de travail réelles. Chaque poste mérite une étude approfondie pour identifier les facteurs de stress, les postures contraignantes ou les cadences inadaptées. Le rapport de l’Assurance Maladie révèle que plus de 20 % des décès par accident du travail surviennent dans l’année suivant la prise de poste. Ce chiffre souligne l’importance d’une attention particulière aux nouveaux arrivants et aux changements de fonction.
Le deuxième levier porte sur la constitution d’équipes pluridisciplinaires. Associer médecins du travail, infirmiers, ergonomes, toxicologues et psychologues permet d’appréhender les risques dans toute leur complexité, qu’ils soient physiques, chimiques, organisationnels ou psychosociaux. Cette synergie de compétences, que Philippe Goj a mise en place au CIAMT avec plus de 350 collaborateurs, constitue la clé d’une prévention efficace.
Enfin, l’implication des dirigeants demeure indispensable. Le baromètre Qualisocial révèle que les salariés bénéficiant d’une bonne qualité de vie et des conditions de travail sont 64 % plus nombreux à être en bonne santé mentale et 45 % plus engagés. Trois piliers se démarquent comme particulièrement influents : le sentiment de sécurité physique et psychologique, les relations de travail et l’organisation du travail elle-même.

Un coût considérable pour les entreprises
Les conséquences économiques de l’inaction sont massives. En 2024, les accidents du travail et maladies professionnelles ont engendré plus de 78 millions de journées non travaillées, soit l’équivalent de 334 000 emplois à temps plein. Les indemnités journalières versées atteignent 4,9 milliards d’euros, en hausse de 10,8 % par rapport à 2023.
Les troubles musculosquelettiques pèsent particulièrement lourd. Selon l’INRS, ils représentent plus de 80 % des maladies professionnelles reconnues et génèrent à eux seuls plus d’un milliard d’euros de frais couverts par les cotisations des entreprises. Près de 60 % des femmes et plus de 50 % des hommes déclarent des douleurs liées aux TMS du dos ou des membres supérieurs.
Philippe Goj rappelle que ces coûts directs ne reflètent qu’une partie de l’impact. L’absentéisme, le turnover, la perte de productivité et la dégradation du climat social constituent des charges indirectes souvent sous-estimées.
Vers une médecine du travail actrice de la santé globale
L’évolution des mentalités est en marche. Les services de prévention et de santé au travail ne sont plus perçus comme une simple contrainte administrative, mais comme de véritables partenaires dans l’amélioration des conditions de travail. La branche AT/MP de l’Assurance Maladie couvre désormais 20,8 millions de salariés du régime général et 2,5 millions d’établissements cotisants.
Pour Philippe Goj, cette dynamique doit encore s’amplifier. Les enjeux de demain – vieillissement de la population active, intensification du travail, généralisation du numérique – exigent une adaptation permanente des pratiques. Le rapport de l’Assurance Maladie souligne d’ailleurs que les accidents du travail chez les femmes ont augmenté de 26 % depuis 2001, une tendance masquée par la baisse chez les hommes (-40 %). Cette évolution reflète la féminisation de certains secteurs exposés comme la santé, le nettoyage et l’aide à la personne.
La médecine du travail de demain sera préventive, digitale et profondément intégrée aux stratégies RH des entreprises. Les organisations qui auront compris cette nécessité disposeront d’un atout précieux pour attirer et fidéliser les talents, tout en garantissant leur pérennité économique. Au-delà de l’obligation légale, c’est un formidable gisement de performance et d’attractivité.



















